L’Islam et la socialisation

Publié le par Ferdia

 Dans un contexte de marasme économique et d’incertitude, sans apporter de solutions concrètes, la mouvance islamiste administre à travers ses conférences une thérapie mentale qui soulage l’esprit tourmenté de sa clientèle prête à absorber la relativisation de ses malheurs et la promesse d’un lendemain meilleur ici, par l’action militante, et dans l’audelà, par la dévotion. Le glissement du discours religieux vers le militantisme politico-religieux n’est pas immédiatement perceptible mais agit à moyen terme comme un puissant levier galvaniseur des foules. Deux conséquences découlent de la répétition de ce type de discours : l’identification du système et du régime en place comme source de tous les problèmes sociaux, économiques et moraux de la société et la culture d’une sympathie à l’égard des oulémas. L’action fantasmée dans ce cas de figure ne peut prendre que la forme d’un soulèvement de masse, d’une révolution populaire conduite par ces mêmes oulémas. La construction mentale est portée à une simplification extrême de la réalité : la désignation d’un ennemi et l’impérieuse nécessité d’agir. Agir vite de façon collective en évitant d’emprunter les voies légales, car obstruées par les éléments répressifs du régime, tout comme la concertation est considérée totalement vaine mais en privilégiant une action de masse brutale et ciblée. L’islamisme à Djibouti : réel ou fantasmé ? Il n’y a pas de précédent dans l’histoire de la politique djiboutienne d’un mouvement islamiste organisé quels que puissent être ses buts51. Les références islamiques opportunément mobilisées ces dernières années par les oulémas modernes et leur soudaine incursion dans une compétition politique relèvent moins d’une stratégie mûrie de prise du pouvoir politique qu’une volonté de mettre à profit un contexte national et international jugé favorable. Le gouvernement a toujours su user de « prévention » pour parer à cette éventualité tout en provoquant maladroitement l’engagement politique des oulémas. L’engagement politique des oulémas modernes Contrairement à son prédécesseur, l’actuel président de la république est un fervent pratiquant. Il se rend à la mosquée parmi les fidèles pour assister à la grande prière hebdomadaire du vendredi qui comporte un prêche complémentaire. Les cheikhs traditionnels qui officient dans la mosquée « officielle » ont pris l’habitude d’insister, à travers leur prêche du vendredi, sur les mérites du Chef de l’Etat en évoquant largement ses réalisations à la tête du gouvernement52. C’est une rupture par rapport à la tradition locale des rapports entre islam et politique. Si cette pratique est très courante dans beaucoup de pays arabes, les Djiboutiens n’approuvent pas l’idée de glorifier des politiques dans la mosquée, lieu sacré 51 Terje Ostebo fait référence dans son rapport de juin 2010, Islamism in the Horn of Africa. Assessing Ideology, Actors, and Objectives, à un Djibouti Youth Mouvement qui aurait réalisé des attentats mais en vérité il s’agit d’une confusion avec d’autres événements qui n’ont aucune motivation islamique et le supposé mouvement des jeunes n’a jamais existé. 52 Selon la Constitution djiboutienne de septembre 1992, le président de la république est Chef de l’Etat et Chef du gouvernement. réservé au recueillement et à l’élévation de l’âme par rapport aux considérations secondaires de ce monde. Mais le parler politique dans les mosquées se banalise et les oulémas, à leur tour, commencent à politiser leurs interventions dans les lieux de culte. Leur raisonnement a été le suivant : « si le politique veut s’inviter dans la mosquée alors rien ne nous interdirait de parler politique dans nos prêches ». La stratégie, implicitement encouragée par le pouvoir politique, d’atteindre les fidèles à travers les prêches des cheikhs traditionnels, acquis à la cause, s’est retournée contre lui en légitimant indirectement le discours politique des oulémas modernes. Ces derniers plus populaires que les waadado ont mis à profit cette brèche pour critiquer les carences des politiques gouvernementales en usant de généralités, de métaphores, d’insinuations sans jamais attaquer ouvertement le gouvernement.

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